Madame Danis, vous parlez d’un phénomène de symbiose, comment est-ce que celle-ci s’installe?
Parfois, elle s’installe au début de la relation et d’autres fois elle s’installe une fois que la dépendance se développe. Dans cette symbiose, le dépendant s’appuie sur le codépendant et il ne va pas chercher de l’aide à l’extérieur de la relation. C’est ça le piège.
Certaines relations symbiotiques ne sont pas problématiques: les gens sont très unis, ils font tout ensemble. Mais dans ces cas-là, la différence, c’est qu’il n’y a pas la maladie de l’addiction au coeur de la relation. Dans le cas d’une dépendance, les proches, sans s’en rendre compte, interfèrent et empêchent l’autre d’aller chercher de l’aide. Petit à petit, un sentiment de culpabilité et de honte s’installe. Ils se disent «Je ne suis pas assez bien, je suis une mauvaise épouse, un mauvais père, c’est à cause de mes déficiences que mon proche consomme».
Et elles ont le sentiment d’être épuisées.
Tout à fait, mais c’est une bonne chose! Quand les gens sont épuisés, ils sont plus susceptibles d’être attentifs à leurs priorités et à leurs limites. C’est dès qu’ils retrouvent de l’énergie qu’ils reprennent leur fonctionnement et ont à nouveau cette impression de toute-puissance. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont «hors-je» dans cette situation. Pourtant, c’est important qu’ils laissent la place à l’autre de toucher le fond.
Alors si quelqu’un nous parle de son épuisement en tant que proche, comment réagir?
Plutôt que de renforcer son sentiment de toute-puissance, on peut lui poser des questions: «qu’est-ce qui fait que vous n’en pouvez plus? Est-ce que ce que vous avez fait jusqu’à maintenant donne des résultats? Quelles sont les alternatives?» La personne a besoin de réaliser que ses efforts et ses sacrifices ne mènent nulle part. Tant que la personne «peut», la situation symbiotique se renforce.
Vous comparez les mécanismes des dépendances à ceux qui alimentent le contrôle. Pourquoi?
Si d’un côté l’obsession est l’alcool, du côté de la personne codépendante, l’obsession se situe autour du contrôle du proche dépendant. Pourquoi? Pour survivre et pour éviter le chaos à tout prix. Ce qui est terrible, c’est que la dépendance est une maladie qui se soigne très bien! Donc il n’y a pas besoin de subir ses conséquences. On peut s’en sortir, mais il faut connaître et accepter les outils, par exemple les groupes de parole, rencontrer des pairs aidants.
Pour les proches, parmi toutes les stratégies mises en place, la seule qui fonctionne, c’est de poser les limites. L’amour, oui, mais l’amour ferme.
En résidentiel, avez-vous rencontré les familles?
Durant l’hospitalisation, les proches vivent une période de répit, accueillie comme un grand soulagement. Quand je travaillais à la clinique La Métairie, je rencontrais parfois les enfants des patients. Mais la majorité des parents ne disaient pas à leurs enfants pourquoi ils étaient hospitalisés. Certains, pour protéger leurs enfants, leur disaient qu’ils partaient en vacances. Toutefois, ceux qui disaient la vérité s’en sortaient le mieux. Les autres craignaient constamment de croiser des connaissances dans les commerces ou cafés des environs et étaient piégés par leur propre mensonge.
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Cet article est tiré du numéro 31 d'Exister, commandez-le des maintenant !