Une championne de tennis nous raconte son histoire

Interview de Manuela Maleeva, paru dans le journal Exister du mois de décembre 2022.

Madame Maleeva, vous avez été championne de tennis de haut niveau. Qu’est-ce que le titre de ce journal vous évoque ?
J’ai été une sportive professionnelle et le sport était mon métier. Je ne sais pas jusqu’à quel point on peut parler d’addiction dans ce contexte-là. J’ai dû si souvent me dépasser, aller au-delà de mes limites. Quand j’ai arrêté ma carrière, je ne voulais plus de cette pression constante. Il y a des limites que je ne voulais plus dépasser. Maintenant, quand je fais du sport, je le fais pour être bien, pour être en bonne santé. Mes limites sont assez élevées de par mon histoire sportive, mais une fois que je les vois, je dis stop. Et j’en suis heureuse.

Le sport est une école de vie. Si on peut le pratiquer pour le plaisir, le bien-être, la santé, c’est une telle ressource !

Comment l’avez-vous vécu enfant ?
J’ai grandi en Bulgarie et j’ai eu la chance de pouvoir aller dans une école qui alliait le sport et les études. Pour moi, ces temps étaient importants : j’aimais l’école, voir mes amis, faire autre chose ! Je ne pensais pas au tennis pendant quelques heures. Dans ce contexte, je ne sentais pas autant de pression que dans mon sport.

Aujourd’hui, on parle plus facilement de cette pression. Il y a quelque temps, j’ai été voir une joueuse de tennis qui a dépassé la trentaine et continue de jouer dans des tournois. Son corps est très sec et elle passe des heures et des heures à s’entraîner. Là, on peut se demander si on n’est pas à la limite de l’addiction. Il est bien sûr difficile de réaliser que c’est le moment de faire autre chose. La crainte du vide peut être angoissante. Quand on est professionnel et qu’on a toujours fait cela, qu’est-ce que l’on peut faire d’autre ? Personnellement, j’ai eu le privilège de me marier et d’avoir une envie d’enfants. J’étais prête pour cette autre vie. Mais beaucoup sont obligés d’arrêter parce qu’ils ne sont pas ou plus assez bons ou parce que leur corps ne leur permet plus les mêmes sollicitations.  

On parle souvent de la pression des parents dans le sport de haut niveau. Qu’en est-il selon vous ?  
Pour un jeune athlète, l’entourage est très important, je pense aux parents mais aussi à l’entraîneur. Dans le sport de compétition, les coachs ont un rôle particulier, ce qu’ils nous demandent est presque surhumain. Les jeunes ne savent pas ce qui les attend et les adultes ont un rôle important pour les aider à garder les pieds sur terre. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas et la pression des parents peut être terrible s’ils ne sont pas équilibrés. Dans les sports d’équipe, l’entraîneur ne se concentre pas sur un seul jeune sportif pour faire progresser l’équipe. En revanche, dans les sports individuels, les ambitions des parents peuvent se révéler surdimensionnées.  

Je comprends bien que les parents d’un jeune athlète veuillent lui donner le meilleur et que pour son bien, une pression en découle. Et bien souvent, on remarque que les jeunes jouent pour satisfaire leurs parents. Ce qu’il faut réaliser, c’est que pour un joueur professionnel, la pression est constante. Elle est concentrée durant le match, mais elle est là aussi lors des entraînements, elle entoure le domaine des conditions physiques ou encore des éventuelles blessures. On apprend à vivre avec mais les adultes peuvent nous aider à mieux la gérer et à relativiser certains aspects.

Auriez-vous des conseils à donner aux parents ?
Tout d’abord, je les inviterais à s’interroger sur les raisons pour lesquelles ils veulent que leur enfant fasse un certain sport. Est-ce véritablement pour leur enfant ou pour leurs ambitions personnelles ? Et je le dis avec beaucoup de bienveillance, je ne veux pas être négative. C’est normal que chaque parent pense qu’il sait mieux ce qui est bon pour son enfant. Mais c’est très important de s’interroger sur les motivations.

Il faut aussi comprendre que sans le soutien des parents, dans de nombreux sports, l’enfant ne peut pas réussir. C’est le parent qui sacrifie du temps, de l’énergie, de l’argent. On peut parler des voyages, des préparations de repas spécifiques, du fait que le parent laisse sont propre travail parfois de côté.

Ils peuvent le faire avec beaucoup de bienveillance en se mettant en arrière parce qu’ils veulent donner à leur enfant la possibilité de réussir. Pour répondre à ces questions complexes, il faut être très honnête avec soi-même et descendre très profondément dans qui on est véritablement et quelles sont les motivations derrière nos aspirations.

Dans le sport de haut niveau, tout est focalisé sur un domaine et on vit dans une bulle pratiquement hermétique parce que le sport est la chose la plus importante. C’est tout l’art de réussir à saisir qu’il y a des choses plus graves qu’un match perdu. J’aurais bien voulu que quelqu’un me dise cela quand je jouais. Cela m’aurait permis de me détendre, cela aurait enlevé un peu de pression. Au début, ma mère était aussi mon entraîneur. J’ai aujourd’hui une très bonne relation avec elle mais cela n’a pas été facile. J’ai pu avancer et on a pu beaucoup parler. De son côté, elle pensait faire au mieux et j’ai pu le comprendre.

Je connais malheureusement de nombreuses relations parent-enfant brisées parce que la pression des parents était trop grande. Et que dire de tous ces enfants dans le monde du tennis que je connais qui ont été cassés parce qu’ils n’ont pas eu les résultats qui leur permettraient de passer en professionnel.

Voilà pourquoi il est si important pour les enfants de garder et nourrir d’autres passions, de s’intéresser à ce qui se passe dans le monde.

Et que dire des addictions dans le sport amateur ?
L’addiction y est très présente, je pense par exemple aux gens qui ont besoin d’être valorisés ou de se surpasser pour prouver qu’ils peuvent avoir des performances élevées. Je peux le voir aussi dans des cas d’autres addictions, par exemple dans les troubles alimentaires, parce que par le sport on arrive à contrôler la peur de prendre du poids. J’ai pu le constater dans ma propre famille avec un membre touché par des troubles alimentaires. Dans ce cas, le sport peut devenir une addiction pour combattre une autre addiction.

Interview réalisée par Laetitia Gern dans le journal Exister du mois de décembre 2022.

 

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