Le témoignage et l'engagement d'une femme authentique

Laurence Cottet est patiente experte en addictologie. Elle partage son témoignage dans son ouvrage Non ! J'ai arrêté, présenté à la page 12 de ce journal. Entretien personnel avec une femme engagée auprès de celles et ceux qui luttent avec une relation problématique à l’alcool.

Madame Cottet, vous partagez depuis de nombreuses années votre propre histoire d’alcoolodépendance, intimement liée au milieu professionnel. Pourriez-vous nous en dire plus ?

 

Dans mon environnement professionnel de l’époque, où j’ai fait toute ma carrière d’ailleurs, je peux vous dire que l’alcool était pour mes patrons un véritable outil de management. Il faut dire que le domaine du BTP (Bâtiment travaux publics) est l’un des secteurs les plus touchés par l’alcool. Grâce à ce dernier, on nous retenait sur le lieu de travail. On nous « lâchait » à 22h en nous disant « restez, c’est open bar ! Les grands patrons se retirent mais vous, faites la fête ». Je me suis retrouvée à terminer des soirées vers 4 ou 5 h du matin dans nos chambres d’hôtel où on était tous complétement ivres. C’était aussi souvent par ennui que je buvais. J’étais dans des situations, notamment professionnelles, où je m’ennuyais, en portant des dossiers qui ne me convenaient pas. Comme l’alcool était présent dans ce contexte professionnel de cadre dans lequel j’évoluais, je l’ai utilisé pour combler cet ennui. La question de l’alcool en entreprise est très sérieuse... Je souligne souvent qu’être « addict » à un produit, c’est la rencontre de trois paramètres : la personne, le produit et l’environnement. Voilà pourquoi le contexte professionnel doit être pris en compte.

 

Qu’en est-il de la problématique de l’alcool au féminin dans le milieu professionnel ?

 

Il n’est pas facile pour les femmes de faire leur place dans un monde d’hommes. Et je crois que c’est le cas aujourd’hui dans tous les secteurs. Quand je discute avec des femmes journalistes, par exemple, dans le cadre d’un interview sur mon histoire, elles me confient se retrouver dans ce que j’exprime. Elles aussi ont un mal fou à faire leur place dans une équipe d’hommes. C’est ce que j’ai connu moi aussi dans mon secteur. J’étais parfois la seule femme au milieu d’une vingtaine de cadres supérieurs. Si à l’époque j’avais refusé la coupe de champagne ou le verre de whisky qu’on m’offrait, je pense que je me serais faite « cataloguer »... J’avais déjà de la peine à être intégrée parce que j’étais une femme alors si en plus j’avais refusé de boire... Ce constat est vraiment malheureux ! Aujourd’hui, de plus en plus de femmes m’appellent après avoir lu mon livre en me remerciant de l’éclairage que mon témoignage leur apporte. J’ai ensuite l’occasion de les encourager à se faire soigner. Loin des clichés, ce sont des avocates, des médecins ou des cheffes d’entreprise.

 

De manière générale, une femme qui boit, quel que soit son statut social, est souvent associée à une image de « débauchée » ou de « femme facile ». Dans le cas d’un homme, c’est l’inverse : on dira de lui qu’il est viril, qu’il a « une bonne descente ». Les femmes touchées par une problématique d’alcool sont bien sûr conscientes de ces représentations très différentes et ont tendance à cacher leur consommation. Elles n’iront pas forcément dans les lieux publics mais boiront chez elles en cachette. Mon histoire en témoigne, je ne me montrais plus et je masquais un mal-être profond.

 

D’où peut venir ce mal-être dont vous parlez ?

 

Derrière les statistiques, il y a des histoires lourdes. On n’est jamais alcoolique par hasard. Et on n’est pas égaux. Parfois, vous avez des gens qui disent « moi mon père et ma mère ont tellement bu que je ne boirai jamais » et effectivement la personne ne boit pas. Et parfois, d’autres vous disent « et bien moi j’ai vu mon père et ma mère boire, pourquoi n’aurai-je pas le droit de boire ? ». Et malheureusement, ils se retrouvent à boire autant qu’eux.

 

Les causes d’un mal-être qui pousse à la consommation excessive d’alcool peuvent être diverses. En groupes de parole, on travaille principalement cinq événements traumatiques qui reviennent très fréquemment. Cer-tains peuvent également se retrouver dans le vécu d’hommes que nous rencontrons. Ce sont des sujets difficiles, parfois très violents, qui ont des répercussions sur de nombreux domaines de la vie :

• des deuils d’enfant (perte d’un enfant, avortement); • de la maltraitance physique ou psychique ;
• des viols ;
• des incestes ;
• du harcèlement (dans le cadre d’un couple ou au travail par exemple).

 

Tout comme le sevrage du ou des produits, la verbalisation des souffrances est une étape importante qui peut se vivre dans un accompagnement professionnel. On commence alors tout doucement à parler de sujets difficiles. Je répète souvent aux malades que j’accompagne : « c’est long, c’est un jour à la fois. On a mis des années à se détruire, il nous faudra des années pour se reconstruire... mais on peut y arriver. » Oui, on peut s’en sortir, mon histoire en est une démonstration. Aujourd’hui, je suis heureuse de ce que je suis devenue et cela me pousse à continuer de parler de ce sujet le plus simplement possible afin d’encourager les personnes concernées à se soigner.

 

Vous parlez de l’alcoolodépendance comme d’une maladie de la solitude, que voulez-vous dire ?

 

Si on aborde la maladie de la dépendance à l’alcool, chaque malade a son histoire. Moi, je peux parler de la mienne, maintenant que je suis abstinente depuis de nombreuse années. L’abstinence, je l’ai obtenue par la compréhension de ma maladie et grâce aux réponses au sujet des raisons qui m’ont poussée à consommer. D’autres vous parleront d’un sentiment d’isolement. Maintenant que j’accompagne des gens depuis plusieurs années vers le rétablissement, très souvent ils me confient que c’est par solitude, par isolement qu’elles ont commencé à boire. Ce peut être une maman qui se retrouve seule avec ses enfants après un divorce et qui pour tenir le coup dans cette solitude va boire de l’alcool, ce peut être une personne qui perd sont travail et se retrouve au chômage. La solitude durant les journées la pousse alors à commencer à boire. Ce facteur d’isolement est très fréquent, d’où le défi, au sein de la période de crise sanitaire que nous vivons, de gérer la solitude. La tentation de consommer peut être grande dans ces conditions.

 

Vous parlez aussi de la honte qui peut être ressentie de manière très profonde.

 

Oui, j’entends souvent des personnes dire « ce n’est pas possible d’aider cette personne parce qu’elle est dans le déni ». Dans l’accompagnement et dans ma propre histoire, j’ai découvert que la question ne se situe pas vraiment autour du déni. Ce qui empêche les personnes qui vivent une problématique d’alcool de s’exprimer, c’est je pense plutôt la honte. A ce titre, une citation de l’auteur Saint-Exupéry prend tout son sens. Un personnage explique qu’il boit pour oublier qu’il a honte de boire. C’est très juste ! On a honte de boire et on continue à boire pour oublier la honte. Quand j’explique cela dans les groupes de parole, en général, les gens acquiescent. En réalité, on n’a pas à avoir honte d’une maladie. Voilà pourquoi il faut insister sur la dimension pathologique de cette problématique. C’est alors que les personnes que nous accompagnons pourront être mis au large de la culpabilité et du poids d’un jugement moral.

 

« Il boit pour oublier qu’il a honte de boire »
Inspiré de Saint-Exupéry

 

Finalement, comment fait-on pour questionner sa propre consommation d’alcool ?

 

Le plus naturellement possible : lorsqu’on se verse un verre d’alcool, qu’on soit seul ou en groupe, la question qu’il faut se poser, c’est « quel est mon mode de consommation ? ». Si par exemple je déguste un verre avec un plat, que je l’apprécie et que je n’en ai pas forcément besoin d’un deuxième, tout va bien. Si par contre je le bois le plus vite possible pour rechercher un état, comme cela m’est arrivé, pour tuer l’ennui ou parce que je suis timide ou angoissée, là il y a un problème. Et ce verre là est dans ce cas là rarement le seul.

 

Interview réalisé par
Laetitia Gern

 

Laurence Cottet est présidente de Janvier Sobre

Janvier Sobre, une démarche citoyenne lancée en 2019, encourage chacun à se positionner par rapport à l’alcool pendant un mois en se fixant son propre défi. Proche de la vision du Dry January présenté dans ce numéro, l’association Janvier Sobre propose aux entreprises d’être parties prenantes de cet événement afin de soutenir leurs collaborateurs.

www.janviersobre.fr