L'écoute et la parole, des leviers vers le rétablissement

L’accompagnement des personnes touchées par une problématique d’addiction passe par l’écoute et la parole. Afin de comprendre le rôle de celles-ci vers le Rétablissement, nous nous sommes adressés à la Dre Joëlle Gaillard, au bénéfice d’une expérience de cheffe de clinique à la clinique d’alcoologie du canton de Vaud. Entretien.

Madame Joëlle Gaillard a exercé la médecine générale pendant de nombreuses années avant de se spécialiser en psychiatrie et en psychothérapie.

 

Dr Gaillard, quel rôle jouent les mots dans le domaine de la psychiatrie ?

 

Les mots sont notre outil de travail. Parfois, le corps parle parce que l’on n’arrive pas à dire nos maux, cela devient alors des somatisations. Le langage permet d’exprimer la souffrance et de la conscientiser. Quand on arrive à élaborer par des mots la souffrance que l’on ressent, on arrive à trouver aussi des moyens de mieux la maîtriser, de mieux la comprendre, et donc de mieux la traiter. En tant que médecin, je suis particulièrement attentive aux mots que j’emploie. Pour l’anecdote, quand je me présente, j’ai pris l’habitude de dire que je suis médecin psychothérapeute. En effet, la psychiatrie fait souvent peur, avec beaucoup de préjugés qui restent dans l’inconscient collectif et quand je dis que je suis psychiatre, les gens en face de moi ont tendance à ouvrir de grands yeux, font un pas en arrière et, par la suite la relation est modifiée.

 

Certains mots peuvent être porteurs de tant de préjugés, d’images nocives ou dépassées, il vaut donc mieux les éviter. C’est le cas par exemple du mot alcoolique. Quand quelqu’un me dit par exemple «J’avais un oncle alcoolique, c’est horrible, je ne veux pas être comme ça». Je lui dis «attendez, on en est où pour vous?». Il est important de ramener la personne à son propre vécu et non pas au poids d’une catégorisation discriminante.

 

N’est-ce pas là toute la question des diagnostics qui sont vécus comme des étiquettes stigmatisantes ?

 

Je dis souvent à mes patients que le diagnostic dont on parle au cabinet leur appartient. Les diagnostics ont été établis essentiellement parce qu’il y avait besoin d’un discours commun dans la communauté internationale psychiatrique. Ils définissent un ensemble de symptômes appréhendés selon des critères d’intensité et de durée. En termes pratiques, ils me permettent d’envisager quel traitement choisir et sont aussi utiles juridiquement pour les assurances. J’aime expliquer à mes patients que le diagnostic est une sorte de photographie de la situation d’aujourd’hui mais que cela ne définit pas toute leur vie. Au niveau identitaire, la personne n’est pas réduite à un diagnostic posé à un moment donné. Après tout, ce n’est pas parce qu’on a eu une angine qu’on est une angine !

 

Dans le Rétablissement, il y a plusieurs étapes et le moment où le patient reçoit un diagnostic en est une importante. Mais ensuite, on voit la capacité de résilience qui se met en route et qui redonne au patient son pouvoir d’agir. Ainsi, il n’est plus bloqué par cette étiquette diagnostic stigmatisante comme si c’était un arrêt de mort ! Avec l’aide de ses thérapeutes, le patient acquiert des moyens pour gérer ses symptômes au quotidien.

 

« ce n’est pas parce qu’on a eu une angine qu’on est une angine »

 

Patricia Deegan, aujourd’hui docteure en psychologie et impliquée dans le mouvement de Rétablissement de la santé mentale, l’exprime bien dans ses travaux qui font appel à son histoire personnelle. Lorsque son médecin lui a dit un jour: «Vous êtes schizophrène, vous allez donc prendre tel médicament et vous irez dans un foyer », elle s’est sentie déterminée par un dire médical. Elle s’est donc lancée dans une quête pour comprendre le processus du changement en vue d’un rétablissement. Aujourd’hui, la relation médecin-patient a évolué et on est plutôt dans une relation de partenariat avec une prise de responsabilité de plus en plus grande de la part du patient. En d’autres termes, on accorde de plus en plus de place au vécu du patient.

 

Quels outils mobilisez-vous pour aider les patients à trouver les mots ?

 

Dans le domaine des addictions, il existe un outil très important : l’Entretien Motivationnel. On part de la parole du patient pour essayer de faire évoluer les choses dans le sens de la santé. C’est un outil, voire un mode de relation efficace, car il appuie, oriente et soutient le désir de changement. Je me souviens que dans les débuts où l’Entretien Motivationnel était enseigné, on disait souvent que le déni n’est pas propre au patient mais qu’il se crée dans la relation. Dans le cas des personnes touchées par l’alcoolodépendance, si on les approche en essayant de les convaincre que ce qu’ils font est mal et qu’ils doivent changer, on les atteint dans leur intimité en ne respectant pas leur autonomie de décision. Ils peuvent avoir l’impression de ne plus avoir le droit de choisir. De fait, la personne va avoir tendance à se défendre et à nier la problématique. L’important, c’est plutôt d’arriver à se mettre au niveau de la personne pour qu’elle puisse reconnaître son problème et élaborer son désir de changement. Tout l’enjeu est de l’accompagner par nos mots et dans l’échange, dans ce processus.

 

Comment ne pas tomber dans ce qui peut être perçu comme de la manipulation ?

 

Il y a une grande différence entre une attitude de prescription ou de paternalisme d’un côté, et une attitude tournée vers le désir de comprendre l’autre. C’est se dire : « la personne en face de moi est comme elle est et elle a probablement de bonnes raisons de l’être ». L’enjeu pour moi est alors de comprendre pourquoi et comment elle en est arrivée là. Ainsi, mon savoir d’expert en tant que médecin peut être mis au service du patient.

 

Effectivement, il avait été hospitalisé plusieurs fois. Il m’a partagé que la prescription dont il était question était accompagnée de lourds effets secondaires. Je lui ai proposé de travailler ensemble dans une alliance selon le concept du Rétablissement. Dans un dialogue, j’ai pu entendre ce qui ne lui convenait pas et lui proposer de trouver la dose minimale efficace, de manière que les effets secondaires soient moindres. Il a ainsi pu identifier les symptômes prodromes et il prend son médicament quand il sent qu’il en a besoin. Je continue de le suivre régulièrement car l’équilibre reste subtil.

 

Dans certains contextes ou familles touchées par l’alcoolodépendance, le silence est frappant. Comment le comprenez-vous ?

 

J’emploierais plutôt le terme de «non-dit», souvent lié à des enjeux de loyauté familiale. Il est important d’interroger le rôle du patient dans la dynamique familiale mais également le rôle de la personne qui consomme. En psychiatrie, on sait que les non-dits et les secrets de famille sont le plus souvent néfastes et qu’ils ressortent toujours d’une manière ou d’une autre.

 

Dans les traumatismes, par exemple, le silence est significatif : je pense aux survivants de la Shoah qui n’ont pas pu dire ce qu’ils avaient vécu parce que c’était indicible. Parfois, il arrive que leurs petits-enfants, qui n’ont pas vécu personnellement l’horreur des camps, aient des cauchemars et besoin de psychothérapie !

 

Le non-dit, c’est un creux qui va se remplir d’une manière ou d’une autre. Dans les accompagnements, on s’aperçoit qu’il est toujours délétère de ne pas trouver les mots pour dire les choses, et en particulier, la souffrance.

 

Le Rétablissement passe par une mise en mot la plus ajustée possible avec l’aide du thérapeute, et en prenant le temps d’aller au rythme du patient.

 

Interview réalisée par
Laetitia Gern