Les mécanismes sociaux de l'alcoolodépendance

Le rapport à l’alcool est socialement très ancré. Dans nos sociétés, l’alcool est une drogue qui n’est pas considérée comme telle. Et pourtant, les risques liés à une consommation excessive sont multiples. Nous proposons de dégager quelques mécanismes sociaux afin d’offrir un nouvel éclairage à la problématique de l’alcoolodépendance.

Dans les milieux professionnels spécialisés, on entend parfois que l’addiction est une maladie du lien. L’addiction résulte ainsi d’une tentative de surmonter ce ou ces liens relationnels problématiques. En effet, l’alcool apparaît comme un moyen de fuir la réalité. Malheureusement, cela ne résout en aucun cas les problèmes existants et peut être générateur de problèmes encore plus sérieux.

 

Cette substance est relativement bien acceptée dans la société et souvent facile d’accès, ce qui pousse certains à s’en servir comme automédication en vue de résoudre des problèmes. La norme perçue est celle de la consommation et l’abstinence nécessite généralement une explication par ceux qui la vivent.

 

Suivant la période de la vie, différents facteurs sociaux peuvent pousser à la consommation d’alcool.

  • Les adolescents : la recherche d’identité, l’exploration et le test des limites, la comparaison aux autres, l’envie d’appartenance au groupe, l’envie de s’apparenter plus aux adultes qu’aux enfants avec certains comportements, les pressions sociales.

  • Les adultes et les seniors : l’âge et l’expérience peuvent donner l’impression de maîtrise ; des facteurs sociaux et des changements environnementaux peuvent influencer la consommation d’alcool, tels qu’un deuil, un isolement social, le passage à la retraite et une baisse de reconnaissance sociale et professionnelle.

 

Dans la littérature scientifique, les sociologues Hedström & Swedberg définissent un mécanisme social comme un « ensemble de mécanismes fondamentaux et généraux, opérant suivant les mêmes principes logiques, utilisables à des fins d’explication dans des situations sociales très diverses » (1998). Leur étude a permis d’explorer certains mécanismes sociaux influant sur la consommation d’alcool des individus.

 

L’exemple du Binge drinking

 

Le Binge drinking consiste à boire très rapidement de grandes quantités d’alcool en un temps court, dans le but d’être ivre le plus rapidement possible. Ce phénomène touche principalement les jeunes de 18 à 25 ans. Ce comportement se pratique dans toutes sortes de lieux : bars, boîtes de nuit, espaces publics et domiciles.

 

Une telle consommation présente de nombreux risques somatiques et psychosociaux. D’un point de vue corporel d’abord, une consommation excessive très rapide peut provoquer l’hypothermie, des convulsions, des chutes entraînant des fractures et autres traumatismes crâniens, l’intoxication alcoolique, des troubles digestifs ou cognitifs, le coma éthylique... D’un point de vue relationnel, le Binge drinking génère de nombreux risques psychosociaux, notamment des relations sexuelles non protégées ou non souhaitées, des comportements violents, la conduite en état d’ivresse, des accidents de la route, des difficultés relationnelles, etc.

 

Lors d’une formation de prévention donnée à des jeunes, le sujet du Binge drinking a été présenté et défini. Une jeune fille de 14 ans avait l’air perplexe. Elle m’a tout innocemment demandé « mais pourquoi des gens font ça? ». La question mérite en effet d’être posée. Quels sont les facteurs qui engendrent cette montée en puissance de la consommation excessive épisodique? Le fait de consommer de l’alcool de façon exagérée lors de soirées peut s’expliquer notamment par la pression sociale exercée par les pairs : on boit pour être intégré socialement. La dimension intégratrice du Binge drinking passe souvent par des jeux, des défis et des rites. Cela peut même servir de rite de passage pour faire partie d’un groupe. En outre, des études montrent que les jeunes consomment de l’alcool de façon massive également pour diminuer leur stress ou une impression de solitude. Outre les raisons sociales évoquées, des raisons financières peuvent être mentionnées : nombre de jeunes boivent avant de sortir en boîte de nuit de manière à consommer à moindre prix.

 

Le Binge drinking est souvent pratiqué sans s’en rendre compte, en participant à des jeux ou défis. La comparaison aux autres, et « les normes sociales font passer le Binge drinking comme un phénomène normal aux yeux des jeunes » (Glover-Bondeau 2011). Par la fierté et l’exagération, la consommation est banalisée.

 

Il y a, par ailleurs, cette idée reçue qu’on ne peut pas s’amuser sans alcool, qu’on est beaucoup plus à l’aise et amusant lorsque l’on a consommé. De plus, la société actuelle est celle de l’immédiateté, les temps d’attente n’existent bientôt plus (Bénévent 2003). Ainsi, les délais de la vie sont évités au maximum. Très rapidement, le Binge drinking permet d’atteindre, sans attendre, les effets recherchés dans la consommation d’alcool : la désinhibition et l’euphorie légère. Or, en consommant de grandes quantités si vite, le corps n’a pas le temps d’exprimer ce stade d’ivresse et passe directement à un stade plus avancé, où ces symptômes n’existent plus et où l’on perd la maîtrise.

 

La prévention

 

Le travail de prévention et de sensibilisation intervient AVANT que les comportements ne se pratiquent et s’installent. Ainsi, nous pouvons espérer retarder les premières consommations et éviter les consommations excessives. Nous orientons notre travail de prévention sur trois axes principaux qui nous permettent de toucher des aspects différents des mécanismes sociaux :

INFORMER : par la mise en lumière de l’existence des mécanismes influants.

FORMER : par l’explicitation des vulnérabilités, des risques et des mécanismes physiques et sociaux.

MOTIVER : par l’incitation à ne pas céder à la pression sociale et à se soutenir les uns les autres. Il est important de travailler en vue d’un changement des normes et d’offrir des alternatives.

 

Des risques physiques

 

Les jeunes :

  • le foie est plus petit qu’à l’âge adulte, ce qui augmente la vitesse d’alcoolisation ;

  • le foie est en développement, les enzymes sont moins nombreuses et l’élimination de l’alcool est de ce fait plus lente ;

  • le corps, notamment le cerveau, étant en pleine croissance, les probabilités de développer une dépendance sont largement augmentées.

Les seniors :

  • la tolérance à l’alcool diminue et la vitesse d’élimination ralentit ;

  • la prise de médicaments est plus fréquente et les interactions avec l’alcool peuvent avoir de graves conséquences ;

  • les risques de chutes sont accrus lors de la consommation d’alcool.

La survenance de troubles cognitifs est augmentée chez les personnes ayant une relation problématique avec l’alcool.

 

Astrid Engeström
Responsable du Secteur prévention à la Croix-Bleue romande

 

Bibliographie

BÉNÉVENT R. (2003). « L’idéologie de l’immédiateté », La lettre de l’enfance et de l’adolescence, vol. no 53, no. 3, pp. 9-22.

GLOVER-BONDEAU A.-S. (2011), «Le ‘‘Binge drinking’’» sur www.stop-alcool.ch (Update 2019).

HEDSTRÖM P. & SWEDBERG R. (1998), Social mechanisms : an analytical approach to social theory, Cambridge university press.