Lettre à la bouteille

Un bénéficiaire partage dans "lettre à la bouteille" son combat pour tourner la page et se défaire de l'addiction à l'alcool.

« C'était du temps où je m'alcoolisais, le temps où j'aimais ta compagnie. Seule ta présence semblait me rendre heureux. Je ne vivais que pour toi et avec toi. Tu étais devenue une fée. La vénération que je te portais n'avait point d'égal. Tu me rassurais lorsque je te savais près de moi, présente sur la table, ou cachée dans quelques recoins de la maison quand ce n'était pas dans le jardin. Faut te dire qu'à cette époque, des cachettes, j'en trouvais, toutes plus originales les unes que les autres. Même que parfois il m'arrivait de ne plus savoir où je t'avais camouflée. C'est peu dire ! Aujourd'hui ce temps me paraît lointain, très lointain même.

Pourtant à bien y réfléchir, c'était hier, et je me rappelle encore... Je devais t'écrire à toi "ma bouteille". Je ne me souviens plus de ce que j'ai pu te conter. Mais à en croire mon passé de buveur, je devais me confondre d'éloges à ton égard. Aujourd'hui je me dois ce même exercice. Le même exercice ? Non, pas tout à fait, puisque je suis devenu abstinent. Il est évident que l'abstinence a changé le cours de mon jugement, et l'eau qui tombe du ciel a coulé sous bien des ponts, depuis l'écriture de ma première lettre. Il est probable que ce premier écrit devait avoir des allures de révolte, puisque j'étais un buveur démasqué, et non conscient du bienfait d'une abstinence heureuse.

Mes mots aujourd'hui gardent certes les mêmes valeurs, mais ne revêtent peut-être pas les mêmes significations. L'équivoque de la "bouteille" reste liée bien sûr à l'alcool, et à mon alcoolisation, où le mot "bouteille" me semblait magique. Si ce mot "bouteille" a longtemps représenté cet intérêt instinctif, qui faisait vibrer mes sens imaginaires, liés à la dépendance du plaisir que pouvait m'apporter son contenu, le mot aujourd'hui me laisse indifférent. Il est évident que je ne peux nier cette "bou-teille" qui à une certaine époque était devenue ma consolatrice, mais je peux dire qu'aujourd'hui elle ne m'inspire que de l'indifférence. Certes elle reste encore liée à mon passé, où se trouvent mêlés à la fois un sentiment de honte, un sentiment de gêne, mais aussi un sentiment de victoire. Honte et gêne dans ce sens que je reste persuadé que l'alcoolisme demeure une maladie (si nous pouvons considérer l'alcoolisme comme une maladie) volontaire, et je ne peux oublier que j'ai été dépendant de cette "bouteille" Victoire; par cette idée de me sentir libéré d'une entrave indéfinissable, où j'étais devenu un prisonnier volontaire. Mais où peut être la victoire, quand on se rend responsable de sa propre maladie ?...

Aujourd'hui toutefois je veux croire que la "bouteille" n'est plus pour moi cette "amie qui me voulait du mal. Il nous faut vivre ensemble, la "bouteille" et moi, c'est certain, elle a sa place dans notre société, mais pour ma part, je me dois de me montrer distant à son égard. Une page est tournée mais "l'histoire" ne fut pas drôle.. L.» 

Source du texte Journal des AA