Des habitudes ancrées depuis l'antiquité

L'alcool fait partie de nos habitudes de consommation depuis bien longtemps. Jean Clot, sociologue et chef de projets au Groupement romand d'études des addictions (GREA), nous fait découvrir l'histoire d'un déchirement, entre banalisation et interdiction ratée.

Repas de famille, soirées professionnelles, sorties privées, matches de football, baptêmes. L'alcool est presque partout. Peu d'occasions font exception. Pourtant, son potentiel addictif n'est plus à prouver et ses dommages sur la santé, en cas de consommation excessive ou fréquente, sont extrêmement importants. "Les données scientifiques sont claires. On constate que l'alcool est souvent en tête des classements des produits nocifs pour la santé au même niveau que les opiacés et bien devant le LSD et l'ecstasy", assure Jean Clot. Il est sociologue et chef de projets au Groupe romand d'études des addictions (GREA).

Mais comment cette substance a-t-elle intégré nos quotidiens? "Le vin, en particulier, est profondément enraciné historiquement et socioculturellement depuis l'Antiquité. Il occupe d'ailleurs une place importante dans les mythologies grecques et romaine, puis dans la religion chrétienne." 

De la valorisation à l'interdiction

Conséquence: le temps passant, la consommation d'alcool a été valorisée socialement. Elle le reste toujours, en témoignent l'imaginaire populaire et la publicité. "Si, aujourd'hui, sa dimension spirituelle est moins présente, d'autres domaines, comme le sport ou la gastronomie, l'ont intégré. Le vin, en Suisse, c'est notamment le patrimoine, le terroir, la tradition, le tourisme et le secteur économique. Comment va-t-on dire à la grand-mère qui boit sa petite liqueur digestive en fin de repas qu'elle consomme une drogue) Comment oserait-on dire à un vigneron qu'il sert un produit psychoactif dans son caveau?"

Des réactions indignées à ces remarques n'étonneraient pas grand monde. Au XXIe siècle, près de deux cents ans après la classification de l'alcoolodépendance comme une maladie, arrêter de boire est encore et souvent mal perçu en société.

Un retour en arrière justifié

Pourtant, il n'y a pas si longtemps, le produit était tout simplement interdit aux Etats-Unis. Une réussite? «Non», répond sans hésiter Jean Clot. «La prohibition a donné lieu à un essor de la contrebande, au développement de gigantesques organisations mafieuses, et à des produits plus forts, de qualité douteuse, voire dangereuse». Pour le sociologue, cette période, abolie en 1933 après treize ans, a été globalement un fiasco, «même si elle a peut-etre été précédée de bonnes intentions». Et il estime qu'«on devrait d'ailleurs en tirer des leçons dans une perspective de régulation des autres drogues».

Après l'échec de la prohibition et les problèmes financiers d'après-guerre, les années 1960 marqueront un autre tournant. Conséquence notamment de la hausse du pouvoir d'achat et de la publicité, la consommation d'alcool augmente. Mais les discours abordant les problématiques sanitaires liées au produit émergent également.

Mais quelle est la situation aujourd'hui en Europe occidentale? «Heureusement, les différentes prestations en matière d'accompagnement se sont considérablement étoffées. En plus des accompagnements classiques, des nouvelles initiatives ont vu le jour, comme le Dry January, des outils d'évaluation en ligne et certains projets de consommation contrôlée. Il est important de savoir que l'accompagnement est primordial et que la culpabilisation est inutile.»

 

Texte réalisé par Geoffroy Brändlin, journaliste