« L'alcool m'aidait à oublier mes malheurs durant quelques instants »

Ancien alcoolodépendant, Martin, 69 ans, a accepté de raconter son histoire. Celle d’une quête difficile, mais victorieuse pour retrouver une vie normale.

Nous retrouvons Martin à 10h à la Brasserie de Chailly. Béret sur la tête et café en main, il est venu en avance. Une brasserie pour un ancien dépendant ? A-t-il choisi ce lieu comme défi ? « Pas du tout. L’alcool n’est plus une tentation. Vous pouvez boire ce que vous voulez en face de moi, ça ne me fait ni chaud, ni froid », assure-t-il du tac-au-tac, avec aplomb.

Son détachement face à la substance s’est toutefois construit sur la durée, brique par brique. Parce que Martin revient de loin. Son passé, en tout cas les vingt dernières années, est un champ de mines. « Ma relation avec l’alcool est devenue problématique il y a un peu moins de 20 ans. L’entreprise de transport dans laquelle j’exerçais mon métier de routier a été rachetée et j’ai perdu mon emploi. Très vite, ma femme a demandé le divorce et ne voulait pas que je visite mes filles. Toutes mes raisons de vivre se sont effondrées, boire me permettait d’éviter de penser à ma situation ».

Un tournant salvateur

Ses journées sont vides. Sans occupation, ni but, il perd progressivement le contrôle. Depuis sa séparation, Martin est en plus à la rue. « Je buvais jusqu’à un litre de whisky par jour. Et sinon, ça pouvait être quinze bières ». Après trois ans sans domicile fixe, il est relogé par la fondation Le Relais. Mais, malgré cette aide, sa consommation ne diminue pas.

Jusqu’à une visite qui va changer sa vie. « Les employés de la fondation sont arrivés chez moi et ont constaté mon absence. Ils m’ont retrouvé au bar dans un triste état et m’ont envoyé au CHUV, avant que je sois transféré à l’Hôpital psychiatrique de Prangins ». Le quinquagénaire y restera un peu plus de trois mois et en gardera un souvenir douloureux.

L’écoute, le respect et les échanges, Martin les trouvera à la Fondation des Oliviers, son prochain « chez lui ». « Les psychiatres m’ont demandé comment j’envisageais la suite. Je leur ai répondu que je voulais m’en sortir et opter pour l’abstinence. Je connaissais déjà la Fondation des Oliviers alors j’ai proposé d’y être envoyé ».

 

Indépendance

Chose faite. Le père de famille y restera près de neuf ans, le temps de reconstruire sa vie et de s’éloigner de l’alcool. Il y trouvera même un travail occupationnel dans la récupération de matériaux. « J’étais accompagné par des personnes très compétentes qui me comprenaient mieux que les psychologues ou psychiatres que j’avais pu rencontrer par le passé ». Grâce aux accompagnants qui le suivaient, avec lesquels il garde contact encore actuellement, l’ancien routier progresse sur ses rapports sociaux, la gestion de ses finances et son addiction. Discuter avec d’autres résidents l’aide aussi énormément.

« Au lieu de m’accrocher à des brindilles, j’avais une corde pour remonter la pente ». Une voie de sortie qui ne se termine que lorsque alcool et envie sont incompatibles. Pour Martin, ce moment, celui de l’indépendance, est arrivé il y a six ans.

Par Geoffroy Brändlin, journaliste

Extrait du journal Exister n°35 sur L'alcool en automédication.