L’alcool pour anesthésier la douleur

Le Dr Christelle Peybernard accompagne depuis 25 ans des personnes confrontées à l’addiction. Médecin spécialisée en psychiatrie et en addictologie, elle met également à profit ses compétences pédagogiques lors de ses consultations et dans un ouvrage paru en 2025. Interview.

Docteure Peybernard, qu’est-ce qui a motivé la rédaction du livre Mieux se protéger de la dépendance à l’alcool?
Depuis 25 ans, je travaille en milieu hospitalier et je m’occupe d’un CSAPA (centre de soin, d’accompagnement et de prévention d’addictologie). Ce livre est né de mon expérience clinique et des nombreux témoignages de mes patients. J’ai voulu adopter une approche innovante, centrée sur l’éducation à la santé et la prévention, afin d’offrir à chacun des repères pour mieux comprendre sa relation à l’alcool, notamment dans l’esprit du Dry January.

 

Vous insistez sur les raisons qui poussent à consommer de l’alcool. Pourquoi est-ce si important ?

L’alcool sert souvent d’automédication pour atténuer une souffrance, en particulier chez les personnes ayant vécu des psychotraumatismes. Plus de la moitié de mes patients en alcoologie sont concernés par un syndrome de stress post-traumatique, souvent lié à des expériences de négligence, de maltraitance ou d’abus sexuels.

 

Qu'est ce qu'un psychotraumatisme ?

Un trouble psychotraumatique se produit lorsque la victime est confrontée directement ou indirectement à une menace physique ou à une situation qui la détruit mentalement. Lorsque nous sommes exposés à un événement violent, notre psychisme modifie temporairement son fonctionnement pour se protéger de l’agression qu’il subit. Cette modification se manifeste par une variation de notre niveau de conscience.

 

Quel est le lien entre traumatisme et consommation d’alcool ?

L’alcool agit comme un anesthésiant ou un sédatif. Il permet de soulager la souffrance, la rumination ou encore les réminiscences d’un psychotraumatisme. Par exemple, une personne peut consommer pour essayer d’échapper à une crise d’angoisse en rentrant chez elle. Pour contrer des attaques de panique, elle va boire de l’alcool pour s’anesthésier. Il apporte un soulagement immédiat grâce à son effet anxiolytique, mais cet effet est de courte durée et s’accompagne souvent de conséquences négatives, comme la « gueule de bois ». Associé à des anxiolytiques, l’alcool peut endormir les centres de la respiration et exposer la personne à un risque d’overdose. Il irrite aussi l’estomac et peut amener des vomissements et le risque de fausse route.

 

Comment la dépendance s’installe-t-elle ?

La personne qui consomme pour anesthésier une souffrance va avoir tendance à recommencer puisque, sur le coup, l’effet recherché arrive et c’est une forme de récompense. Avec le temps, le cerveau s’habitue: il faut augmenter les doses ou la fréquence, c’est la phase de tolérance. Progressivement, la dépendance s’installe : on consomme non plus pour le plaisir, mais pour éviter le manque.

 

Concrètement, comment l’alcool agit-il sur le cerveau ?

L’alcool prend la place de certaines molécules chimiques du cerveau, responsables notamment de la prise de décision ou de l’initiation d’un comportement. Sous son influence, il peut nous amener à agir malgré nous. C’est en cela qu’on peut le qualifier de drogue légale : il a la capacité de prendre le contrôle sur notre cerveau, de modifier nos perceptions et nos comportements. Une partie de notre cerveau se retrouve ainsi commandé par les effets de l’alcool. J’explique ces mécanismes à mes patients. Tout d’abord que la dépendance est une maladie, et ensuite qu’il faut du temps pour que le cerveau récupère sa capacité de contrôle. Mais c’est possible et cela donne beaucoup d’espoir.

 

Lire l'extrait du journal Exister

Interview réalisée par Laetitia Gern