Baptiste, quel rôle joue l'alcool quand on est étudiant?
Imaginez, vous commencez vos études, vous arrivez dans une nouvelle ville, vous ne connaissez personne. La condition sine qua non pour se faire des amis passe par l'alcool. L'intégration se vit presque toujours dans des contextes alcoolisés. En ce sens, ce produit est un vecteur, voire un lubrifiant social. A cause de cela, des personnes subissent même une certaine pression en société. Comme cette jeune fille qui est venue me voir à la fin d'une conférence pour me dire qu'elle ne voyait pas comment se faire des amis sans consommer d'alcool.
Et de l'autre côté, il y a ceux qui mettent la pression?
Oui, j'en suis un bon exemple. Au lycée je buvais déjà et l'alcool était déjà intégré dans mes routines, c'est ce qu'on appelle le binge drinking. Alors il y a un certain mépris envers ceux qui ne boivent pas, ils ne savent pas faire la fête, ils ne sont pas drôles, ils sont "chiants". J'étais dans ces clichés-là.
Face à ces habitudes de consommation bien installées, quel est votre message aux jeunes?
Je leur dis que l'alcool ne réglera jamais ce que nous n'aimons pas chez nous, nos complexes. Au contraire, et surtout si on est une personne vulnérable à l'addiction, on risque de développer une dépendance et de ne plus savoir qui on est. Cette version de nous-même alcoolisé devient comme une seconde peau qui nous donne l'impression d'exister, d'être vu, d'être aimé. Et là, on commence à entrer dans les mécanismes malsains. On cherche à remplir un malaise.
C'était votre cas?
Oui. Je vivais au travers des désirs et des attentes de mes parents, surtout de mon père. J'ai préféré taire plein de choses pour ne pas décevoir. Je ne voulais pas être mis de côté. Dans mon cas, il y avait aussi la composante anticonformiste, rebelle: «Je fais quelque chose d'interdit, c'est cool ». C'était pour moi un moyen de sortir du cadre. Quand on grandit dans un milieu très normé, perfectionniste, élitiste, on a parfois envie de lâcher prise le week-end, de mettre son cerveau sur pause, que tout soit permis le temps de quelques heures.
J'ai cruellement manqué d'éducation émotionnelle. On ne m'a pas appris à gérer la honte, la peur du regard de l'autre. C'est normal d'avoir des doutes, des angoisses, on n'est pas des machines. C'est pourquoi j'encourage les personnes que je rencontre dans mes conférences à oser se montrer sans masque, à apprendre à se découvrir et à s'affirmer.
Vous soulignez l'importance de la prise de conscience.
Le mot clé, c'est la conscience. Voilà comment j'interpelle le public: «avant de prendre la première gorgée d'alcool, il faut avoir conscience qu'on est en train de consommer une drogue». Ce n'est pas sans risque, il n'y a pas deux catégories de buveurs: ceux qui savent bien se tenir et les alcooliques. C'est plus complexe que cela. Le premier verre comprend déjà des risques.
Personnellement, j'ai la chance d'être en vie et d'avoir choisi le chemin de l'abstinence depuis neuf ans. Je peux dire aujourd'hui que je ne regrette rien de mon parcours. En tant que patient-expert, je parle à la première personne. Mon histoire peut alors faire réfléchir et faire gagner un temps précieux.
Interview réalisée par Laetitia Gern, responsable de la revue Exister