On m’a mis dans le train, je partais pour ma seconde cure

Bernard Romain partage sa longue descente dans l’alcoolodépendance, une rechute après sept ans d’abstinence et son engagement actuel comme responsable d’une section locale de la Croix-Bleue française.

Bernard, votre témoignage est poignant. Pouvez-vous nous parler de votre vie professionnelle à cette époque ?

De festive, ma consommation est devenue journalière et la dépendance s’est installée progressivement. Au travail, je recherchais souvent les rendez-vous tard le soir chez mes clients artisans afin de boire l’apéro. J’en ai perdu le permis de conduire, évidemment. Heureusement, j’ai pu embaucher un jeune vendeur pour me conduire à mon travail et à mes rendez-vous avec ma voiture. Puis j’ai perdu mon travail en 2005. Logique, mais traumatisant. Mon responsable de région, découvrant mon problème trop tard m’a dit que j’avais eu tort de ne pas lui en parler, qu’il m’aurait aidé à mettre en place des soins... Puis vint le chômage... Ma femme demande le divorce et prend un appartement de son côté, les enfants ne me regardent plus. Je dérive mais je crois que tout va bien : je suis dans le déni complet. Je bois, oui, mais je ne suis pas alcoolique !!! Pas moi !

Avez-vous vécu ce que certains appellent un déclic ?

Au cours d’une consultation, le médecin alcoologue me demande si je veux sauver mon foie. C’est LE déclic. Il m’envoie en cure. Après cinq semaines, en septembre 2006, c’est un homme nouveau qui en sort avec une envie de croquer la vie et de rattraper le temps perdu... Dans le cadre de mon métier, je faisais beaucoup de salons et de foires, lieux où l’alcool coulait à flots. Mais je tenais bon. Mon abstinence me rendait heureux et fier. C’était une nouvelle chance dans ma vie, qui me permettait à nouveau de m’épanouir. J’avais une boulimie d’envies, y compris d’aider les autres à s’en sortir et à réussir.

Vous avez vécu ensuite une rechute. Quel a été le facteur déclencheur ? Après sept ans d’abstinence, tout a basculé.

Un jour, lors d’un démontage de stand, j’accepte une bière pour « arroser » une semaine très chargée. Je me sentais confiant et je crois qu’inconsciemment j’attendais ce test. Sur le moment, rien ne s’est passé. Mais le lendemain, j’ai repris une bière et, à la fin de la semaine, c’était à nouveau la bouteille de whisky... J’avais honte. Puis j’ai fait un burn-out. J’ai quitté mon travail et la solitude m’a envahi. Je n’ouvrais la porte à personne. Heureusement, un de mes fils grenoblois a prévenu mes frères de ma situation catastrophique. Alertés, mes amis de la Croix-Bleue de Valentigney m’ont pris en main et m’ont mis dans le train, consentant, pour une seconde cure à Caillac. Tout cela est maintenant derrière moi, depuis six ans.

Qu’est-ce qui vous a aidé à vous en sortir ?

Si mes amis ne m’avaient pas aidé, soutenu, et n’avaient pas cru en moi alors que je désespérais de tout, je ne serais certainement pas là aujourd’hui, à écrire et à transmettre la joie profonde que j’éprouve à vivre intensément. Je ne les en remercierai jamais assez ! Être encore là et en bonne santé est un immense privilège, alors que tant d’amis et de copains sont déjà morts ou gravement malades des suites de l’abus d’alcool. J’ai aussi conscience que si je suis encore là aujourd’hui, c’est grâce à l’amour vigilant de mon père, de mes frères et à la chaîne d’amitié de la Croix-Bleue qui ne s’est jamais rompue. Je suis aujourd’hui conscient qu’il ne faut négliger aucune aide ou béquille, car je pense être toujours en soin, jamais guéri. Mon corps me l’a dit et son rappel à la vigilance a été très sévère. J’aide de mon mieux la section de Valentigney, qui est animée par des membres formidables, devenus des amis précieux.

« Aujourd’hui, je veux redonner ce que j’ai reçu ! »

Vous témoignez du bonheur (re)trouvé. Pouvez-vous nous en parler ?

Le bonheur, qui reste merveilleux chaque matin, c’est me lever avec un grand plaisir, avec une tempête d’idées qui tourbillonne dans ma tête, et pouvoir me regarder dans la glace de la salle de bains. C’est retrouver doucement ma famille, me sentir écouté, voire aimé. C’est faire et refaire des activités oubliées ou irréalisables pendant ma descente dans l’enfer de l’alcoolisation : des vacances avec mes petits-enfants, du camping, des balades à moto, à vélo, de la pêche, du bricolage, des voyages, ...

J’ai appris à m’accepter, à faire des efforts, à résister, à dire « NON » (il est parfois difficile de dire « Non » ! ) à aimer, à respecter les autres encore plus malgré leurs défauts et les miens, à partager, à donner sans espoir de retour.

Vous êtes impliqué aujourd’hui dans une Section de la Croix-Bleue en France. Qu’est-ce qui vous motive dans votre engagement ?

Mon plus grand désir est de redonner ce que j’ai reçu. Je sais aussi que cela me préserve des affres de la solitude et des risques de ré-alcoolisation puis de rechute.

Dans une société de plus en plus confrontée aux difficultés politiques, économiques et sociales, et dans laquelle l’être humain est d’abord considéré pour ses facultés de production et de consommation, il y a toute une frange de la population qui ne peut plus suivre, qui reste en arrière et se marginalise. Et quel que soit le rang social, c’est dans cette population que nous rencontrons le plus d’hommes et de femmes qui ont besoin de recourir à l’alcool pour oublier leur difficulté d’être, leur incapacité à s’adapter à une société exigeante, pour ne pas mesurer la profondeur de la solitude dans laquelle ils ont été relégués. Il y a donc des personnes à regarder, à écouter, à aimer