Un poisson rouge et deux souris...

Les mécanismes d’addiction ont été et sont encore étudiés par de nombreux chercheurs. Un ouvrage publié chez Grasset en 2019 dévoile les mécanismes d’addiction du numérique. Qu’il s’agisse d’une dépendance à une substance ou à un comportement, certains fonctionnements sont partagés et méritent d’être confrontés.

« Et puis, recommencer. Encore et encore. Toutes les 2 minutes, 30 fois par heure éveillée, une fois toutes les 3 heures de sommeil, 542 fois par jour, 198 000 fois par an». Ces mots sont ceux de Bruno Patino, spécialiste des médias et des questions numériques. Son constat est alarmant : l’écran « nous appelle, nous happe, nous possède ». A l’image du poisson rouge qui redécouvre son univers à chaque tour de bocal et qui possèderait une mémoire de 9 secondes, les jeunes d’aujourd’hui semblent avoir une capacité de concentration de 8 secondes... (Dixit Microsoft qui fait également la comparaison). Nous voilà donc petit à petit noyés, contraints de tourner en rond dans un espace aux contours bien définis, bercés par les notifications sur les réseaux so-ciaux, les buzz ou autres hashtags (pardonnez-nous les anglicismes !). Le constat est plutôt déprimant... Le chercheur l’exprime ainsi : il s’agit de l’économie de l’attention, sans arrêt sollicitée, notamment pour des raisons commerciales.

Si dans la plupart des pays du monde le temps passé devant un écran a doublé de 2012 à 2016, les experts prédisent un second doublement d’ici à 2020. Aujourd’hui, avoir des angoisses à l’idée de ne pas pouvoir utiliser son portable porte un nom : la nomophobie (no mobile phone phobia). Un nombre d’utilisateurs toujours plus conséquent est pris de sentiments de panique face à l’éloignement de son smartphone. Mais qu’est-ce qui pousse les utilisateurs à être « scotchés » devant leurs appareils ? Les mécanismes d’addiction. Qu’il s’agisse d’une dépendance à une substance psychoactive ou à un comportement, un certain nombre de mécanismes se mettent en place pour amener à un schéma d’actions récurrentes.

Dans son ouvrage intitulé La civilisation du poisson rouge, Bruno Patino qualifie les internautes de « peuple de drogués hypnotisés par l’écran ». C’est dire !

Le poisson rouge n’est pas le seul animal qui nous éclaire sur les mécanismes d’addiction. Une étude menée à Harvard en 1931 par le professeur Burrhus Frederic Skinner mérite notre attention. Deux souris en étaient les principales actrices. La recherche a mis en lumière le circuit de la récompense (cf. glossaire p. 5). La démarche a été menée en deux temps : la première phase a été l’étude du comportement d’une souris qui recevait une dose de nourriture à chaque fois qu’elle appuyait sur un bouton. Les chercheurs ont démontré que le rongeur ne s’approchait du bouton que lorsqu’il désirait se rassasier et ne faisait aucune provision. La seconde phase de l’étude, menée sur une autre souris, fut de comprendre quel serait le comportement du rongeur si la réponse à la pression du bouton était variable : la quantité de nourriture reçue était totalement aléatoire. Parfois même, rien ne tombait du tuyau d’approvisionnement. Cette seconde souris eut une réaction diamétralement opposée : contrairement à la première, elle ne pouvait plus se détacher du bouton et était devenue esclave du mécanisme.

Le circuit de la récompense est sollicité de diverses manières dans le contexte de l’addiction à un produit ou à un comportement. Les pages qui suivent ont pour objet d’en préciser les contours et de montrer comment nous pouvons accompagner et conseiller les personnes touchées par une dépendance et par quels moyens nous pouvons prévenir la mise en place de celle-ci.

Article rédigé par Laetitia Gern, dans le journal Exister (n° 24, décembre 2019).

 

Bibliographie :

PATINO Bruno. (2019). La civilisation du poisson rouge. Petit traité sur le marché de l’attention, Editions Grasset, Paris.